jeudi 7 avril 2011

D'une origine modeste au pouvoir absolu : Mouammar Kadhafi

Washington - Le gouvernement libyen était corrompu, son chef insensible au peuple. Les insurgés de Benghazi étaient des inconnus, jeunes et idéalistes.
Nous ne sommes pas en 2011, mais en 1969, et le meneur du coup d'État, c'était Mouammar Kadhafi.
Les historiens qui se sont penchés sur le cas de l'homme fort de la Libye depuis cette date le décrivent comme une personnalité impressionnante mais aussi contradictoire, remarquable par la façon dont il a réussi à parvenir au pouvoir et à s'y maintenir pendant plus de 41 ans.
« Il sera un cas d'étude pour de nombreux futurs dictateurs. Ils regarderont son historique et se demanderont 'Comment a-t-il réussi à le faire' ?, a dit M. Mansour El-Kikhia, un professeur d'origine libyenne au campus San Antonio de l'université du Texas et auteur du livre Libya's Qaddafi : The Politics of Contradiction (La Libye de Kadhafi : la politique de la contradiction).
Fils sérieux et dévot de nomades du désert de Syrte, Kadhafi était, de l'avis de tous, un jeune homme intelligent et idéaliste, inspiré par le dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser qui avait contribué au renversement de la monarchie en 1952 en Égypte. Kadhafi avait dix ans à l'époque. Quatre ans plus tard, Nasser devenait président, prêchant le nationalisme arabe et l'opposition aux empires étrangers.
« Khadafi représentait plus que tout une perspective de la mentalité arabe des années 1950, qui était initialement celle de Nasser », a expliqué M. El-Kikhia. « Le colonel Kadhafi avait retenu les discours du dirigeant égyptien (...) et les discours en question duraient des heures. Alors quand vous commencez à apprendre par cœur les discours de Nasser, ça montre non seulement un engagement à l'égard d'une idéologie et d'une personne mais aussi d'une façon de vivre et de penser. Malheureusement, Nasser est mort avant de pouvoir apprivoiser Kadhafi, si vous me permettez l'expression. Et un enfant qui n'est pas apprivoisé est, dans un sens, un enfant qui n'est pas éduqué. »
Kadhafi n'était qu'un sous-lieutenant inconnu quand les Officiers de la libre union, le groupe auquel il appartenait, renversèrent la monarchie libyenne en septembre 1969 mais il œuvrait en faveur de cet objectif depuis des années, en tant qu'adolescent et étudiant activiste puis, de manière moins visible, en tant qu'étudiant universitaire, ensuite à l'académie militaire et comme officier d'armée. Son nouveau gouvernement devait s'acquitter des promesses faites aux Libyens : ses dirigeants menaient des vies simples au lieu de tirer profit de la corruption ; ils négociaient de meilleurs prix pour le pétrole national ; ils utilisaient les revenus pour améliorer la vie de la population ; et ils mettaient fin à la présence de bases militaires britanniques et américaines à l'expiration de leurs baux.
« Au début, il faisait les choses qui se devaient (...) en sa qualité de héros national », a dit M. Mohamed El-Khawas, auteur de Qadaffi : His Ideology in Theory and Practice (Kadhafi : son idéologie en théorie et en pratique).

Tout comme Nasser avait établi la voie que suivrait Kadhafi, celui-ci a tenté de fournir à d'autres un plan pour leur gouvernement et leur développement économique qui serait une alternative à la démocratie occidentale et au communisme soviétique, à savoir, une approche à la démocratie directe et au socialisme qui était inspirée de l'islam et qu'il a décrite dans son Livre vert, la baptisant Troisième théorie universelle. Selon le colonel Kadhafi, le peuple libyen doit s'autogouverner par le biais de congrès populaires locaux et municipaux dans ses villes et ses lieux de travail, et au niveau national, par celui du Congrès populaire général. Mais MM. El-Kikhia et El-Khawas ont tous deux souligné que Kadhafi, bien que sincère dans son idéologie, devait rapidement commencer à donner la priorité au pouvoir.
« L'idéologie, que vous le vouliez ou non, vous lie les mains, a indiqué M. El-Kikhia. Et c'est pourquoi il s'en était débarrassée. Même dans son propre Livre vert, il ne la suit plus - il ne l'avait jamais suivie, surtout après 1979, quand il avait rejeté les comités populaires. Oublions l'idéologie : elle avait disparue. »
M. El-Khawas a dit qu'il avait fini par douter de la sincérité de Kadhafi quant à son désir de se conformer à ses propres théories. « Je pense qu'il jouait un jeu », a expliqué le professeur d'origine égyptienne qui enseigne à l'université du District de Columbia. « Quand il a créé son système, il y avait un vide au niveau de la direction du pays ; alors il s'en est emparé et il n'y avait personne pour lui demander des comptes et lui dire 'oui, faites ceci ; non, vous ne pouvez pas faire cela'. Alors, il était devenu plus qu'un gouvernement autocratique : il était devenu autoritaire. »

Kadhafi a aussi misé sur la richesse pétrolière de la Libye pour soutenir des mouvements de libération à travers le monde dans l'espoir qu'ils adopteraient ses principes de gouvernement et solliciteraient ses qualités de chef - « moyennant un programme d'aide à l'étranger non négligeable », a dit M. El-Khawas. Personne n'a mordu à l'hameçon, mais au nombre de ceux qu'il a appuyés figurent le dictateur libyen Charles Taylor, aujourd'hui accusé de crimes contre l'humanité, et Foday Sankoh, du Front révolutionnaire uni dont les atrocités commises en Sierra Leone sont notoires.
Dans la Libye de Kadhafi, la vraie structure du pouvoir procède non pas d'élections, mais de comités révolutionnaires nommés. « C'est la politique de la potence. Ils pendent les gens. Ils font ce qu'ils veulent. Ils s'installent chez les gens comme chez eux, s'insurge M. El-Kikhia. Ils fixent les règles et les règlements en fonction des pensées qu'ils imputent à Kadhafi. Ils ne rendent de compte à personne d'autre que lui. Ils sont libres. Ceci dit, Kadhafi leur a dit : 'Si je coule, vous coulez avec moi parce que c'est vous qui faites le sale boulot.' »
Kadhafi se faisait passer pour un homme du peuple. Dans ses déplacements officiels à l'étranger, il emmenait deux chèvres pour avoir du lait à boire et une tente sous laquelle dormir. Mais il n'a pas été à la hauteur de ses aspirations sur la scène internationale : les tentatives visant à unir la Libye à d'autres pays arabes se sont soldées par un échec, à l'image de sa vision d'une Afrique unie dans laquelle il serait « le roi des rois ».
Une féroce répression en Libye, l'assassinat de Libyens en exil qui le dénonçaient et divers attentats, dont l'explosion du vol 103 de la Pan Am au-dessus de Lockerbie (Écosse), ont fait de Kadhafi un paria en Occident. La Grande-Bretagne a rompu ses relations avec lui en 1984 à la suite d'une fusillade depuis l'ambassade de Libye à Londres qui avait tué une policière britannique et blessé dix manifestants.
La Libye a redoré quelque peu son blason dans la communauté internationale en prenant un certain nombre de mesures. Elle a notamment remis les deux suspects de l'attentat de Lockerbie entre les mains de la justice écossaise, dédommagé la famille des victimes, renoncé aux armes de destruction massive et coopéré dans la lutte contre le terrorisme. Selon MM. El-Kikhia et El-Khawas, c'est Saïf, le fils de Kadhafi et son successeur présumé, qui aurait pris l'initiative de ces mesures.
Pour M. El-Khawas, la réaction de Kadhafi au soulèvement populaire en Libye montre qu'il délire. « Je crois, dit-il, qu'il a perdu la tête... Il agit de manière irrationnelle, en fait, parce qu'il est incroyable de tuer des civils en disant que si vous ne m'aimez pas, vous méritez de mourir. »
De son côté, M. El-Kikhia est convaincu que Kadhafi est corrompu jusqu'à la moelle après quarante années au pouvoir. « Ce type n'a aucun scrupule à encercler la ville de Benghazi et à la faire sauter - littéralement sauter. Il n'a pas de dieu qui puisse lui dire non. Pas de conscience qui puisse lui dire non. Pas une seule personne qui puisse lui dire non. »
Par Jeff Baron
Rédacteur
(Les articles du site «IIP Digital» sont diffusés par le Bureau des programmes d'information internationale du département d'Etat. Site Internet : http://iipdigital.usembassy.gov/iipdigital-fr/index.html)

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