mardi 2 février 2010

Maroc: parler sexualité avec ses enfants... Pourquoi, quand, comment ?

Peu de parents osent évoquer le sujet et éludent le plus souvent les questions posées.
Expliquer la sexualité aux enfants, c'est les aider à comprendre leur corps et éveiller leur vigilance contre les dérives comme la pédophilie, l'inceste, les grossesses non désirées...
L'éducation sexuelle prodiguée par les parents et la famille ne suffit pas. Il faut que l'école joue son rôle.

«Skout, hchouma !». «Tais-toi, tu sauras quand tu seras grand». Combien de fois n’a-t-on pas entendu des injonctions de ce genre de la part de parents envers leurs enfants lorsque ceux-ci osent un mot «mal placé» sur leur corps, ou quand ils posent des questions se rapportant directement ou indirectement à la sexualité ? Un sujet considéré comme grave, tabou, embarrassant. Or, jugent les spécialistes, il n’y a pas meilleure voie pour l’épanouissement sexuel et l’équilibre psychologique d’une personne que de l’initier dès son enfance aux choses de la sexualité. Il est vrai que plusieurs livres et articles ont été publiés sur le sujet par les spécialistes de l’éducation. Cependant, la sexualité ne reste pas moins entourée de beaucoup de mystères. Et même chez les parents avisés qui osent un jour communiquer leur savoir en la matière à leur progéniture, les interrogations persistent : à partir de quel âge doivent-ils donner à l’enfant des explications sur la sexualité ? Quel vocabulaire utiliser ? Doivent-ils l’aborder de leur propre chef ou attendre que l’enfant pose des questions ? Et le rôle de l’école dans tout cela ?, etc.
Ce qui est sûr dans le cas du Maroc, c’est que peu de parents franchissent le pas et bravent la hchouma, pour parler sexualité avec leurs enfants. Selma Belghiti, psychologue clinicienne, considère effectivement que «les parents marocains, dans leur grande majorité, ont beaucoup de mal à parler des questions liées au corps et à la sexualité de leurs enfants. Ce sont des sujets culturellement considérés comme ‘‘honteux’’ et ils ne peuvent donc pas être abordés». Plus que cela, «les parents un peu plus ouverts ont également du mal à parler de ces questions et considèrent que les enfants doivent chercher les informations dont ils ont besoin à l’extérieur de la sphère familiale», ajoute-t-elle.
Imad G., 14 ans, un adolescent branché et apparemment sans complexe, avoue n’avoir jamais été informé par ses parents sur quoi que ce soit quant à la sexualité, or c’est à son âge que commence en principe le changement du corps, le premier amour, sinon les premières expériences sexuelles. «On n’aborde jamais ces sujets en famille, et je ne me rappelle pas que mon père ou ma mère ait jamais évoqué quelque chose qui a rapport avec mon corps». Se masturbe-t-il ? «Oui, je l’ai fait quelquefois, mais…», répond-il en rougissant. Le père de ce garçon, infirmier diplômé d’Etat, qui travaille dans une clinique privée à Casablanca, ne considère pas nécessaire d’aborder ce genre de questions avec ses enfants. «Vous savez, dit-il, les enfants ne sont pas bêtes, ils finiront par apprendre sur le tas, comme nous l’avons fait nous-mêmes». Sait-il que son fils se masturbe ? «Euh ! Franchement, je ne sais pas…», répond-il avec hésitation. Voilà un aspect de la sexualité tabou, entouré de beaucoup de préjugés, au moment où la masturbation est courante chez les jeunes de l’âge de Imad ; et les parents dans leur grande majorité sont loin de l’ignorer.
Dans une enquête menée auprès de 728 femmes âgées de 20 ans et plus, un échantillon représentatif de la population féminine de la wilaya du Grand Casablanca, 90% considèrent que la masturbation est interdite par la religion. Pour 83% elle est pratiquée mais avec un sentiment de culpabilité et de honte, et seulement 15% considèrent qu’elle est permise comme un moyen d’apaisement face à l’abstinence. C’est dire que les préjugés qui entourent cette pratique sont tenaces, or, si la masturbation est une pratique saine, c’est ce sentiment de honte et de culpabilité qui l’accompagne qui est néfaste. Les parents n’expliquent pas cela à leurs enfants, ni les éducateurs à l’école, ni les spécialistes en matière de sexualité. L’un des rares livres publiés sur la question est le «Manuel d’éducation sexuelle», de Nadia Kadiri et Soumia Berrada, toutes les deux psychiatres, psychothérapeutes et sexologues (Ed. Le fennec, septembre 2009, 60 DH). Un travail louable de vulgarisation qui essaie de briser le tabou de la sexualité. Elles y passent au peigne fin tous les aspects : virginité, rapport sexuel hors mariage, masturbation, homosexualité, MST, anatomie des organes génitaux, puberté, adolescence, reproduction, contraception… (voir encadré). La masturbation, expliquent-elles dans ce livre, «ne provoque pas de troubles, elle ne rend pas aveugle, la main ne risque pas de tomber…, contrairement à ce qui est propagé dans notre culture… La masturbation en elle-même ne précipite ni dans la dépression ni dans l’anxiété quand elle est pratiquée par des personnes qui n’ont pas de préjugés».

Insérer l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires devient une urgence
A quel âge parler sexualité à ses enfants, et comment ? «Il n’y a pas d’âge idéal. Chaque âge a ses caractéristiques et engendre des questionnements différents. Il faut garder en tête que l’enfant pose des questions pour mieux comprendre ce qui se passe en lui et pour lui. Il s’agit des questions existentielles qui se rapportent à son identité sexuée (qu’est-ce qu’un garçon, et qu’est-ce qu’une fille ? Qui suis-je ?), à ses origines (d’où est-ce que je viens ? Comment fait-on les bébés ?) et à l’interdit fondamental de l’inceste. Pour un enfant de moins de deux ans, savoir que les bébés se développent dans le ventre de la maman suffit souvent à répondre aux questions sur comment se font les bébés», répond Mme Belghiti. Et d’ajouter qu’il ne sert à rien de le saturer de détails techniques. Et surtout de ne jamais éluder les questions que pose l’enfant sur la sexualité, car «il ira chercher des informations n’importe où (cours de récréation, livres peu recommandables, etc.)et risque d’être très mal informé». Si les parents ne font pas ce travail d’explication, d’autres le feront à leur place : ils vont glaner des informations erronées sur internet, les chaînes satellitaires pornographique, ou encore dans la rue et les cours de recréation où l’on colporte des bêtises. «Tout le danger vient de là», explique Bouchaïb Karoumi, pédopsychiatre à Casablanca (voir encadré). Autre danger qui guette les enfants sur lequel les parents doivent les mettre en garde : la pédophilie. «La médiatisation de telles affaires a fait prendre conscience aux parents de la nécessité de parler de sexualité», convient Mme Belghiti. Mais la pédophilie n’est pas le seul danger qui guette les enfants, il y a également les maladies sexuellement transmissibles, les grossesses non désirées, l’homosexualité, les agressions se-xuelles, le viol, l’inceste…
Pour éviter tant de risques, il faut initier les enfants à un âge où ils sont capables d’assimiler un certain nombre de choses. L’Association de lutte contre l’avortement clandestin, outre la libéralisation contrôlée de l’avortement, place la prévention comme priorité. Et celle-ci passe par une éducation sexuelle saine au sein de la famille, des associations et au sein de l’école. Son président Chafik Chraibi, chef de service gynéco-obstétrique à la maternité des Orangers (CHU de Rabat), propose que la sexualité devienne un sujet de débat national. «Il faut l’insérer, dit-il, dans les programmes scolaires et dédier une matière exclusivement à l’éducation sexuelle. La sensibilisation au sein de la famille ne suffit pas, et tous les parents n’oseront pas le faire, à cause de la culture et des traditions». Mais attention : «Ne pas assimiler la sexualité au danger. Les questions liées au corps doivent être abordées dans différentes circonstances et pas seulement pour mettre en garde», nuance Mme Belghiti.
Jaouad Mdidech
Source: www.lavieeco.com

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