mardi 13 janvier 2015

Tunisie: Un blogeur a écopé de trois ans de prison pour avoir critiqué l'armée

« Mon fils a été arrêté par ce qu’il a révélé les magouilles du ministère de la Défense! » Agrippée au grillage du tribunal militaire de Tunis, Saida, la mère de Yassine Ayari, interpellait ainsi les soldats, le 6 janvier 2015. Pour elle, la comparution de son fils devant le tribunal militaire pour un commentaire sur Facebook est une aberration.

Ce jour-là, une centaine de manifestants l’entouraient pour demander la libération de Yassine Ayari, bloggeur et activiste tunisien déjà actif sous la dictature Ben Ali, un des enfants terribles de la blogosphère tunisienne. La famille n'a pas pu accéder à la salle d’audience.

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Yassine Ayari, 33 ans, marié et père d’un enfant, est le premier civil jugé par les tribunaux militaires depuis l’adoption de la nouvelle constitution en janvier 2014. Arrêté à son retour de Paris, il est incarcéré depuis le 25 décembre 2014. Ses avocats ont demandé – en vain – sa remise en liberté. Il a été jugé par contumace le 18 novembre à trois ans de prison ferme pour avoir « diffamé l'armée » et « insulté le haut commandement militaire ».

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Le père de Yassine, le colonel Tahar Ayari, a été le premier officier tunisien après la révolution de 2011 à mourir dans des affrontements avec un groupe djihadiste, en mai de cette année-là, à Rouhia, dans le nord-ouest du pays. Cela explique sans doute pourquoi, en août 2014, alors que seize soldats venaient d’être tués par des groupes jihadistes dans le mont Chaambi, à côté de la frontière algérienne, Yassina Ayari a accusé de hauts responsables militaires de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour protéger leurs hommes. Il a affirmé que l’Etat major avait été prévenu par les services de renseignement du ministère de l’intérieur. Yassine reproche aussi au ministre de la Défense d’avoir laissé vacant le poste de directeur des renseignements militaires durant des mois.

Ces mêmes dysfonctionnements ont été évoqués par un dirigeant du syndicat des forces de sûreté nationale. Cela lui a valu d'être condamné à deux ans de prison mais il demeure en liberté, contrairement à Yassine Ayari. « L’armée veut montrer l’exemple avec Yassine pour que plus personne n’ose la critiquer. L’armée est une institution comme les autres, elle n’est pas au-dessus de toute critique», clame Motia, le frère du blogueur.

Le jugement de civils par les tribunaux militaires est très contesté en Tunisie. Les associations de défense des droits de l’homme ont exprimé leur inquiétude et demandent le transfert du procès vers les juridictions civiles, garantes d’un procès plus équitable.

Pour Human Right Watch (HRW), le bloggeur est poursuivi pour « délit d’opinion ». «Yassine a été jugé en vertu d’une loi qui fait partie de l’arsenal répressif du régime de Ben Ali et de Bourguiba. Il incombe aux autorités de ne pas l’appliquer. C’est une remise en cause de la liberté d’expression», affirme Amna Guellali, directrice de HRW à Tunis.

L’avocat de Yassine, Charfeddine el Kellil, dénonce le caractère politique du procès. « L’instruction s’est faite en deux semaines seulement sur la base de quelques témoignages, sans confrontation des sources, dit-il. Yassine est arrêté pour ses opinions. Son droit à penser et à s’exprimer a été confisqué. Le mandat de dépôt contre lui est très dangereux dans cette phase de transition démocratique».

En attendant, Yassine Ayari est toujours en prison. La prochaine audience a été fixée au 20 janvier, toujours devant la justice militaire.

Khansa Ben TarjemTunis

Source: http://www.lemonde.fr

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