Par William Horsley, Centre for Freedom of the Media, Université de
Sheffield
Cela pourrait-il enfin finir ? Je parle de la
misérable comédie répétitive que jouent les dirigeants de dizaines d'États
membres des Nations Unies qui protestent constamment de leur farouche
attachement à la liberté de la presse – puis qui s'appliquent à emprisonner, à
intimider ou à éliminer journalistes et dissidents, à dissimuler la corruption
et les abus de pouvoir et à étouffer toute critique.
Il est trop tôt
pour pécher par optimisme. Mais les gens et les politiciens devraient être
conscients que l'ONU accorde maintenant une grande priorité à la sécurité des
journalistes et à la lutte contre l'impunité – à savoir le mode de
fonctionnement, que corroborent de cruelles statistiques, en vertu duquel les
travailleurs des médias sont visés et tués et où, dans neuf cas sur dix, les
personnes responsables échappent totalement à la justice.
L'UNESCO,
principale agence à l'origine de cette initiative que mènent toutes les
organisations rattachées à l'ONU, croit que le
Plan d'action des Nations Unies sur la sécurité des
journalistes et la question de l'impunité pourrait changer la donne
complètement.
Pourquoi les journalistes devraient-ils recevoir une
protection spéciale quand il existe tant d'autres formes d'injustice ? Ce n'est
pas parce que les journalistes sont des saints. Mais parce que la liberté de la
presse et la liberté d'expression sont essentielles à l'édification de sociétés
justes où les gens ont vraiment leur mot à dire sur la façon dont ils veulent
vivre leur vie et sur la manière dont ils veulent être gouvernés.
L'urgence vient du nombre croissant des morts et de l'évident
effondrement de la règle de droit qui fait du journalisme, dans bien des
endroits, la profession la plus dangereuse. Les meurtres d'Anna Politkovskaïa
(Russie, 2006), de Hrant Dink (Turquie, 2007), de Lasantha Wickrematunge (Sri
Lanka, 2009) et de Marie Colvin (Syrie, 2012) ont tous été commis sur le même
modèle : ils étaient tous des journalistes qui risquaient leur vie pour mettre à
nu de graves violations des droits de la personne et de graves injustices ; ils
ont tous été tués afin de réduire au silence une voix critique ; et après leur
mort, les personnes responsables ont échappé à la justice.
Le 23
novembre 2009, un incident horrible a fait prendre toute la mesure de l'effet
corrosif qu'exerce l'impunité en encourageant l'anarchie là où les droits
fondamentaux sont niés par la violence. Trente-deux journalistes et employés des
médias se trouvaient parmi plus de 50 personnes qui ont été tuées ce jour-là
dans la province de Maguindanao aux Philippines. Par la suite, les autorités ont
négligé de mettre sur pied une enquête qui eût quelque crédibilité. Justice n'a
toujours pas été rendue.
L'an dernier, les membres de l'IFEX, le réseau
mondial de défense de la libre expression, ont choisi la date du 23 novembre
pour en faire la
Journée
internationale contre l'impunité. La journée a été marquée dans de nombreux
pays par des campagnes pour mettre fin à l'impunité. Cette année, après
l'approbation du Plan d'action de l'ONU sur la sécurité des journalistes par le
Conseil des Directeurs généraux sous la présidence de Ban Ki-moon, le 23
novembre est la date symbolique à laquelle toutes les agences et tous les
organismes des Nations Unies concernés vont se réunir à Vienne afin de
déterminer comment mettre en œuvre le plan de l'ONU destiné à préserver la vie
et le travail des journalistes.
Bien des gens restent sceptiques après
les déceptions passées. Tous les espoirs étaient permis en 2006 lorsque le
Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la
Résolution 1738, condamnant les attaques délibérées contre les
journalistes et autres civils dans les zones de conflit, mais rien n'a vraiment
changé. Et les dernières statistiques sont alarmantes : avec 95 journalistes
tués au cours des neuf premiers mois de 2012, cette année s'annonce déjà comme
l'une des pires que l'on ait connues.
Mais quelque chose a changé. À
partir d'une petite graine semée dans un sous-groupe de l'UNESCO, un groupe
d'États et d'ONG déterminés ont bravé les tempêtes diplomatiques et une serieuse
résistance afin d'assurer que le Plan d'action des Nations Unies verra enfin le
jour ce mois-ci.
À quoi tout cela se résume-t-il ? Le plan est un modèle
combinant de nombreuses souches – l'élaboration de normes légales appropriées et
de mécanismes d'application de la loi et de protection physique, l'élévation de
la liberté de la presse au rang de priorité supérieure dans les programmes
nationaux des Nations Unies et les vérifications des dossiers des États en
matière de droits de la personne, ainsi que l'amélioration des soutiens
pratiques en matière de sécurité offerts aux journalistes en danger. La réussite
ou l'échec de ce plan dépendra de ce que les États, les organismes de l'ONU et
les médias en feront.
Un sentiment d'urgence se faisait nettement sentir
parmi les médias d'informations du monde lors
du symposium des rédacteurs et des journalistes qui s'est tenu
le 18 octobre à Londres et dont les hôtes étaient la
BBC
et le
Centre for Freedom of the
Media. Quarante grandes organisations de presse sont convenues de faire
parvenir à la conférence de l'ONU à Vienne une
"Déclaration
de Londres". Cette déclaration demande que la conférence prenne pleinement
en compte les préoccupations des médias, et que les journalistes eux-mêmes
suivent de près les actions des gouvernements et des tribunaux pour que cessent
les homicides des journalistes et que prenne fin l'impunité.
Plus tôt
cette année les médias ont montré comment la vigilance peut fonctionner. Des
officiels brésiliens ont critiqué le Plan de l'ONU lors d'une réunion importante
de l'UNESCO, et une brève dépêche sur l'incident, transmise sur Globo TV, a été
reprise par tous les médias du pays. Peu après le gouvernement a annoncé son
appui total au Plan de l'ONU et accepté d'écouter les revendications des médias
et des ONG.
Puis, en septembre, le Brésil a parrainé de tout son poids
une
résolution sur la sécurité des journalistes adoptée au Consel
des droits de l'homme des Nations Unies à Genève, l'organisme de défense des
droits de la persone le plus important du monde. C'était la preuve que les
médias doivent faire partie de la solution pour mettre fin au chancre des
violences contre les journalistes – parce que le silence est l'allié des
dictateurs, et que la démocratie prospère avec la liberté de la presse.
Source: Communiqué de l'IFEX