dimanche 22 mars 2015

Daech, où et vers quoi les Etats-Unis entraînent-ils la région arabe ?

Et finalement, le président américain Barack Obama a reconnu, lors d’une intervention sur une chaîne de télévision US, que l’émergence du mouvement terroriste Daech est le résultat non souhaité et non prévu de l’invasion de l’Irak en 2003. En disant cela, Obama ne voulait très probablement pas critiquer la politique de son prédécesseur, du moins pas autant qu’il n’aspirait à rassurer les Arabes, effrayés par la montée en puissance du terrorisme religieux, quant au fait que la coalition d’une soixantaine de pays conduite par les Etats-Unis en Mésopotamie œuvre et continuera d’œuvrer pour « chasser résolument Daech hors d’Irak ».

En réalité, le problème ne réside pas vraiment dans l’erreur commise par l’administration Bush voici maintenant plus de 10 ans, mais plutôt et surtout dans ce qu’entend le président Obama par « hors d’Irak ». On dit que l’objectif ultime de la coalition est la destruction de Daech, mais rien ne dit et personne ne précise comment faire pour atteindre cet objectif ni quelle est la stratégie d’après l’élimination de ce mouvement extrémiste qui a accueilli des dizaines de milliers de combattants venus de partout et d’ailleurs… Seront-ils tués dans des chambres à gaz ? Seront-ils regroupés dans un bagne comme celui de Guantanamo ? Ou alors seront-ils tous expédiés à leurs foyers, dans leurs pays d’origine ? Et si c’est ce dernier scénario qui est privilégié, et finalement retenu, ne pense-t-on pas au risque de guerre civile que cela induirait dans les pays arabes concernés ?

En envahissant l’Irak, les Etats-Unis n’ont pas engagé leur seule responsabilité et n’ont pas été les seuls à s’embourber dans ce guêpier, mais ils ont attiré avec eux les autres pays arabes. En effet, les évolutions de toute la région ne sont que la conséquence de la situation en Irak qui a produit les formes de terrorisme les plus abjectes au nom de la religion, comme le mouvement d’Abou Moussâb al-Zarkaoui qui a donné ensuite naissance à Daech dans sa configuration actuelle. Or, les Etats-Unis ne se sont pas arrêtés à la simple invasion de l’Irak, mais ont aussi agi dans une sorte de manipulation communautaire dans ce pays, et cela a donné naissance à des discours et des théories sur les minorités en Mésopotamie, un terme qui revenait souvent dans la littérature coloniale du 19ème siècle au Moyen-Orient.

Ainsi, quand en Irak plusieurs communautés parviennent à cohabiter et à coexister, évoquer la notion de minorités revient à une déclaration de guerre. Et c’est précisément ce qui s’est produit, suite à la dislocation du tissu communautaire, créant une logique terroriste, qui a par la suite abouti à la naissance du mouvement d’al-Zarkaoui. Les Etats-Unis ont employé le langage communautaire, et il était donc tout à fait logique que cela laisse éclater les instincts communautaires.

Avec cette situation en Irak, celle qui avait prévalu en Afghanistan dans les années 80 est désormais reléguée aux archives, n’intéressant plus que les chercheurs et les historiens. En effet, ce à quoi nous assistons aujourd’hui est bien plus grave que ce qui se passait en Afghanistan, car nous sommes confrontés au projet de création d’un Etat en Mésopotamie, avec des dizaines de milliers de combattants et d’émigrés. Tous ces gens sont groupés autour d’une seule et même idée, portée et revendiquée par Daech, contrairement à ce qui était le cas en Afghanistan, où les divisions et les scissions caractérisaient les nombreux mouvements de Moudjahidine arabes, et où les camps étaient de simples tentes et casernes disséminées ici et là et non un Etat qui exerce sa souveraineté sur une très grande superficie. En Afghanistan, donc, il avait été bien plus facile hier de démanteler tous ces groupes qu’il n’est aujourd’hui aisé de détruire Daech.

Les guerres précédentes menées en terres arabes par des coalitions dirigées par les Etats-Unis ont montré qu’elles ont toujours engendré encore plus de guerres et de menaces qu’elles n’étaient venues combattre… et c’est précisément ce que l’on serait en droit de craindre aujourd’hui encore. L’Amérique a des éléments à faire valoir pour convaincre de la nécessité que ce soit elle qui mène la coalition, mais les pays arabes en ont-ils pour expliquer qu’ils font cette guerre sous sa direction, eux qui ne cessent de dénoncer le terrorisme au nom de l’islam ? En effet, le simple fait que les Etats-Unis conduisent une coalition contre un groupe terroriste se réclamant de l’islam est amplement suffisant à créer des tensions car le discours des extrémistes se nourrit du vocabulaire ancien où les mots de « croisades » et de « croisés » gardent encore toute leur symbolique.

La crainte principale est que l’expression « hors d’Irak » employée par Barack Obama ne désigne toute autre région du monde arabe que le Moyen-Orient, où se trouvent Israël et le pétrole. Or, si ce n’est le Moyen Orient, cela ne saurait être que le nord de l’Afrique. Cette partie du monde est aujourd’hui devenue l’objectif des organisations terroristes, en tête desquels se trouve Daech qui voudrait bien regrouper ses partisans et combattants dans la région, afin de se trouver un territoire de remplacement en cas de perte de celui de « l’Etat de Mossoul ».

Un tel scénario est très fortement envisageable, pour les raisons sus-indiquées, mais aussi parce qu’il ouvrirait une zone de tension presqu’aux portes de l’Europe, ce qui ne serait pour déranger les Américains, bien au contraire…

Avec cette avancée et cette extension des groupes islamistes et l’extension géographique du mouvement Daech, tout est désormais possible… Tout peut être envisagé dans ce séisme qui a frappé le monde arabe, sauf de voir les Etats-Unis réviser leurs politiques et stratégies en vigueur pour la région arabe. Ainsi, qu’Obama reconnaisse l’erreur d’appréciation qu’avait constitué l’invasion de l’Irak ne change rien à la donne du monde arabe ni à son sort. Les Etats-Unis, en réalité, ne recherchent pas vraiment une solution définitive à la situation de crise permanente dans la région, mais ils testent plusieurs remèdes, variant selon les contextes, et évaluent leur portée en fonction de leurs intérêts du moment. S’il est une chose de sûre dans les politiques américaines, c’est que si elles réussissent, seuls les Etats-Unis en profitent, mais si elles échouent, alors tout le monde en paie le prix.
Par Driss Ganbouri
Al Massae
Source: http://www.panorapost.com/article.php?id=10188


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