dimanche 29 septembre 2013

Maroc: Les pas comptés sur le chemin de la parité

En dépit des quelques progrès enregistrés, l’attitude de certaines femmes continue à faire obstacle à la réalisation d’une véritable parité. Si les traditions sociales ont la peau dure, il n’y a pas non plus de volonté politique de rupture.

Gare de Temara (15 km de Rabat). Debout sur le bord des rails, des personnes attendent l’arrivée du train qui accuse déjà un quart d’heure de retard. Celui-ci arrive enfin à toute allure, mais ne s’arrête pas. Indignés, les voyageurs se mettent à hurler proférant menaces et injures de toutes sortes. Sommé plusieurs fois de s’arrêter, le train finit par freiner à quelques centaines de mètres de la station. S’ensuit alors une longue marche sous la pluie pour rejoindre le train, celuici n’ayant pas pu faire marche arrière. Des voix en colère commencent à s’élever de la foule pour attirer l’attention sur le fait que le train est conduit par une femme, et que c’est la raison pour laquelle il a eu tant de retard et a manqué son arrêt.
Une fois les voyageurs montés à bord, les commentaires reprennent de plus belle. Les propos les plus virulents sont ceux qui émanent de la bouche des femmes. L’une d’entre d’elles, particulièrement en colère, s’insurge contre la conductrice : « elle aurait mieux fait de s’occuper de son foyer au lieu de faire ce métier d’hommes ». Et d’expliquer que « la fonction première d’une femme est d’éduquer ses enfants et cette fonction est beaucoup plus noble que de travailler ». Une vision des choses largement partagée, non seulement par l’ensemble des hommes participant à la discussion, mais aussi par les autres femmes dont l’une considère que « si les femmes ne prenaient pas la place des hommes au travail, il y aurait beaucoup moins de chômage dans le pays ».
Cette tranche de vie très significative caractérise bien l’état d’esprit dans lequel se trouve une large frange de la société marocaine. Un état d’esprit similaire pouvait également être observé lors de la promulgation du nouveau Code de statut personnel (Moudawana), en 2004. A cette époque, beaucoup d’hommes mais aussi un grand nombre de femmes étaient opposés aux réformes apportées par le Code sous prétexte que « les femmes avaient suffisamment de droits comme ça » et qu’il serait « dangereux pour la stabilité de la famille de leur en accorder davantage ».
Malgré la prédominance de cette « culture traditionnelle », une série de mesures législatives a été prise, au cours de ces dernières années, en faveur du principe de parité. C’est ainsi que l’article 19 de la Constitution du 29 juillet 2011 stipule que « L’État marocain oeuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes ». Une Autorité pour la Parité et la Lutte contre toutes formes de Discrimination (APALD) devrait être créée à cet effet. Par ailleurs, la loi relative aux élections du 25 novembre 2011 a réservé aux femmes un quota de soixante sièges (15%) à la Chambre des représentants. Sans ce quota, le pourcentage de femmes élues aurait été très faible. De l’aveu même de Khadija Aït Lahcen, femme au foyer habitant le quartier Yacoub El Mansour de Rabat, « la quasi-totalité des femmes donnent leurs voix aux hommes, parce qu’elles pensent que ceux-ci sont les mieux placés pour défendre leurs intérêts ».

Le discours sur l’identité religieuse de la femme est incompatible avec la parité
D’une manière plus générale, et selon les chiffres officiels, l’analphabétisme au Maroc touche près de 55% de femmes, contre environ 30% d’hommes. Dans le milieu professionnel, le pourcentage de femmes occupant des postes de responsabilité, que ce soit dans la fonction publique ou au sein de l’entreprise, ne dépasse pas les 10%, selon une enquête menée par le Haut- Commissariat au Plan, en 2011. C’est dire aussi que le chemin est encore long pour la réalisation d’une véritable parité.
Enfin, la nouvelle Moudawana, même si elle a accordé le droit de divorce aux femmes, n’a pas aboli la polygamie, pratique qui est toujours en cours au sein de la société marocaine. En outre, en matière de succession, la femme continue à hériter de la moitié de la part de l’homme. Le maintien de telles dispositions laisse planer de sérieux doutes sur la volonté des autorités marocaines d’instaurer une réelle parité homme-femme. Car s’il est un point sur lequel le discours officiel rejoint le discours populaire, c’est bien « la nécessité pour la femme marocaine de conserver son identité musulmane ». Ce qui d’emblée pose des limites à la réalisation de la parité tant escomptée. Malgré tous les espoirs, l’horizon semble encore très lointain.
LINDA CHAHIDI EL OUAZZANI, HICHAM BENJAMAA
Source: http://www.unspecial.org/2013/03/maroc-les-pas-comptes-sur-le-chemin-de-la-parite/

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